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La justice française, soutien indirect de Taïwan ?

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L’affaire récemment jugée par la cour d’appel de Paris, le 14 décembre 2012 (RG n°10/18295), et opposant la République de Chine (Taïwan) à sa consœur la République populaire de Chine est l’épilogue (peut-être momentané) d’une histoire à rebondissements au parcours complexe et qui présente, par ailleurs, des difficultés juridiques non moins complexes.

 

I- Le consulat « chinois » à Papeete

Tout commence le 25 juin 1946, lorsque la Chine (qui était encore unitaire) acquiert un terrain à Papeete, en Polynésie française. Quelques mois après cet achat, l’insurrection générale qui sévit en Chine, aboutit à la victoire des communistes menés par Mao Ze Dong. Une « République populaire de Chine » (ci-après «la Chine ») est proclamée en septembre et Chang Kai Chek, le président nationaliste déchu, se réfugie avec les restes de son armée sur l’île de Formose (ci-après « Taïwan »). Les tentatives ultérieures de la Chine de récupérer dans son giron Taïwan échouent systématiquement.

Durant quelques années, l’immeuble construit sur le terrain acquis par la « République de Chine » (celle d’avant la scission), est utilisé par Taïwan en tant que consulat général. Le 2 septembre 1965, il est fermé.

 

II- Les revendications concurrentes de Taïwan et de la Chine populaire

Le 26 décembre 1977, le « Comité de sauvegarde des biens meubles et immeubles du consulat général de la République de Chine » (ci-après le « Comité de sauvegarde ») derrière lequel est embusquée Taïwan, introduit une action devant le tribunal de première instance de Papeete afin de se faire reconnaître comme propriétaire du terrain et de l’immeuble en question. Et, par jugement du 19 avril 1978, le tribunal fait droit à cette demande.

Toutefois, le 1er septembre 2003, la Chine forme tierce opposition à l’encontre de ce jugement estimant que le terrain et l’immeuble lui appartiennent de plein droit. Par jugement du 20 octobre 2004, le tribunal civil de première instance de Papeete rétracte le jugement précédent, considérant que la Chine est bel et bien propriétaire des lieux parce que successeur de la « République de Chine ».

Taïwan, le Comité de sauvegarde et diverses associations interjettent alors appel de ce dernier jugement et sollicitent un renvoi de l’affaire devant une autre cour d’appel que celle de Papeete dans le souci proclamé d’assurer une bonne administration de la justice. C’est ainsi que, par arrêt du 28 avril 2006, la cour de cassation dessaisit la cour d’appel de Papeete au profit de la cour d’appel de Paris.

Le 16 octobre 2008, la cour d’appel de Paris déclare recevable l’appel de Taïwan et du Comité mais irrecevable la tierce opposition de la Chine dans la mesure où celle-ci « ne pouvait prétendre à aucun droit au jour du prononcé de la décision de 1978 ». Mais cette décision est cassée par la Cour de cassation le 6 mai 2010 dans la mesure où l’existence d’un droit invocable au jour du prononcé d’un jugement ne constitue pas en soi une condition de recevabilité dans le cadre d’une tierce opposition.

 

III- La cour d’appel tranche en faveur de Taïwan

Dans cette affaire, la dernière décision en date a été rendue le 14 décembre 2012 par la cour d’appel de Paris qui se prononce sur le fond du litige. La cour répond enfin à la question de savoir si l’ancien consulat général de la « République de Chine » doit échoir à la Chine ou au Comité de sauvegarde.

La cour juge, en l’espèce, que le bien litigieux appartient au Comité de sauvegarde dans la mesure où la France, si elle a noué, d’un côté, des relations diplomatiques avec la Chine, n’a pas rompu, d’un autre côté, ses relations diplomatiques avec Taïwan.

« la rupture des relations entretenues avec la République de Chine [est] intervenue seulement à l’initiative de cette dernière en 1965. La République de Chine a [donc] pu continuer à agir devant les juridictions françaises et conclure des accords commerciaux […] [en tant que] sujet de droit »

Et d’ajouter :

« [a]près la fermeture par [Taïwan] le 2 septembre 1965 de son consulat établi dans le bâtiment édifié sur la parcelle, le bien immobilier a définitivement perdu son statut diplomatique […]. Ce bien, acquis sur des fonds privés collectés par la communauté chinoise de Tahiti et non sur les deniers publics de l’État chinois […] et situé hors du territoire sur lequel l’État chinois exerce sa souveraineté, est demeuré dans le patrimoine privé de la République de Chine […] »

Autrement dit, l’État chinois, celui d’avant la scission en deux parties de la Chine, était le légitime propriétaire du terrain. Après la scission, la France n’ayant pas rompu ses relations diplomatiques avec l’île de Taïwan, le bien serait resté dans le giron de cette dernière puis racheté, en toute légalité, par le Comité de sauvegarde qui en serait devenu le propriétaire légal.

 

IV- Un arrêt contraire au droit international

Cet arrêt est un peu un « O.J.N.I. » (Objet Juridique Non Identifié) dans la mesure où il fait fi du droit international.

D’abord parce qu’il est illogique, en l’absence de tout accord international, de considérer que deux États peuvent simultanément et légalement succéder à un unique et même État. La République de Chine ne peut donner naissance à Taïwan et à la Chine sauf accord des parties (cf. le cas de la Tchécoslovaquie) ce qui, en l’espèce, n’est pas le cas. Il faut faire un choix. Et ce choix est dicté par le droit international.

Ensuite, parce qu’il ne fait aucun doute à quiconque que, sans la présence de la VIIe flotte américaine le long des côtes de Taïwan, la Chine aurait repris l’île de Formose depuis très longtemps. Cette présence qui menace à la paix et à la sécurité internationales, est évidemment contraire à la Charte des Nations Unies. Elle est donc illégale. Et le juge français en faisant succéder à la République de Chine, l’île de Taïwan, entérine endosse une illégalité, se faisant complice d’une violation du droit international.

La solution qui aurait été conforme au droit international, était la suivante. Dans un premier temps, la cour aurait dû relever que le successeur de « République de Chine » est seulement l’actuelle « République populaire de Chine » (comme ce fut le cas au sein des Nations Unies en 1971) dans la mesure où Taïwan doit son existence juridique à la présence illégale de l’armée américaine dans le détroit de Taïwan. Puis, dans un second temps, la cour aurait dû faire application des règles usuelles du droit français et constater que le Comité de sauvegarde avait acheté le terrain et l’immeuble litigieux à une entité (Taïwan) qui, en fait, n’en était pas le réel propriétaire. Et de conclure que le bien appartient à la République populaire de Chine…

 

V- Les recours de la Chine populaire

Que peut la Chine après cette décision ?

D’abord, se pourvoir en cassation.

Ensuite, le cas échéant, tenter de trouver un forum international pour faire valoir son bon droit afin d’y alléguer une violation de son droit de propriété (sur le bien litigieux) et/ou une violation du droit international général (en l’espèce, les règles qui prolongent le droit de la paix et de la sécurité internationales issues de la Charte des Nations Unies).