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Mariage célébré en Ethiopie et redoublé en France

12-Eglise-Copte

La cour d’appel de Paris vient de rendre une décision qui prolonge et confirme une jurisprudence initiée par la première chambre civile de la Cour de cassation en 2004 et rendue en matière de « fausse bigamie ».

 

I- Des faits d’une grande banalité

Monsieur Gruenberg et madame Ayele se marient une première fois, en décembre 1992, à Addis-Abeba, en Éthiopie, religieusement et non civilement, selon le rite orthodoxe, puis, une seconde fois, en France, en mairie, en octobre 1997. Durant la période séparant ces deux mariages, monsieur Gruenberg fait l’acquisition d’un bien immobilier.

Courant 2006, le couple ne s’entend plus et décide de se séparer. En 2009, madame Ayele introduit une requête en contribution aux charges du ménage prenant appui sur son second mariage avec monsieur Gruenberg C’est alors que, quelque mois plus tard, en 2010, monsieur Gruenberg demande le divorce de son second mariage pour altération définitive du lien conjugal. Madame Ayele change alors de tactique en considérant que le mariage à prendre en considération n’est pas le second, celui de 1997, mais le premier, celui de 1992. Elle demande alors au tribunal de grande instance de Paris l’annulation de second mariage.

L’enjeu, dans cette affaire, est avant tout financier. Si le premier mariage est valide aux yeux de la loi française, le bien immobilier acquis par monsieur Gruenberg, entre les deux mariages, fait partie des acquêts. C’est donc propriété du couple et il doit être partagé en deux. Si seul le second mariage est valide, le propriétaire de ce bien est uniquement le mari. Madame Ayele n’a alors aucun droit dessus.

 

II- Le jugement du tribunal de grande instance de Paris

Le tribunal de grande instance de Paris rend son jugement le 27 septembre 2011. Après s’être déclaré compétent sur le fondement de l’article 3 du règlement (CE) n°2201/2003, il annule pour cause de « bigamie » le second mariage des époux Gruenberg. L’article au soutien de cette annulation porte, dans le code civil, le numéro 147 et dispose :

[o]n ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier »

Jusque récemment, cet article était considéré comme visant uniquement les cas de bigamie. Mais une lecture plus attentive révèle qu’il peut également viser les cas où les époux sont tous deux identiques à savoir l’hypothèse d’un mariage redoublé.

Probablement insatisfait par cette décision, monsieur Gruenberg interjette appel. Selon lui, il n’aurait pas eu véritablement conscience de contracter un mariage avec madame Ayele en Éthiopie. Il s’agissait plus d’une cérémonie festive pour faire plaisir à la famille et aux amis.

 

III- Confirmation en appel

La cour d’appel ne partage pas l’avis de monsieur Gruenberg.

Pour elle, ce mariage célébré en Éthiopie est conforme à la loi éthiopienne dans la mesure où les prescriptions religieuses du rite orthodoxe ont été pleinement respectées. Monsieur Gruenberg savait ce qu’il faisait dans la mesure où il a admis, selon la cour,

qu’il ne fait probablement nul doute qu’il a valablement consenti à cette célébration religieuse »

Dès lors, les juges annulent le second mariage des époux Gruenberg pour violation de l’article 147 du code civil tout en validant le premier mariage, désormais seul lien légale unissant les époux Gruenberg Madame Ayele pourra donc demander, à son profit, le partage du bien immobilier acheté par monsieur Gruenberg entre 1992 et 1997.

 

IV- Enseignements

Cette décision n’est guère surprenante. La Cour de cassation, dans un arrêt fameux du 3 février 2004 (n°00-19.838), à propos d’un couple qui s’était marié une première fois au Congo (ex-Zaïre) puis, une seconde fois, aux Mureaux, avait adopté une solution similaire cassant l’arrêt d’appel qui avait validé le second mariage au motif qu’il avait été passé entre les mêmes époux :

en se déterminant ainsi, alors que cette circonstance n’est pas de nature à faire obstacle à l’application [de l’article 147 du code civil], la cour d’appel l’a violé par refus d’application »

Bien que parfaitement conforme au texte de l’article 147 du code civil, ces décisions méconnaissent malheureusement les difficultés que peuvent rencontrer les couples qui contractent des mariages à l’étranger, selon des rites religieux inhabituels aux yeux de l’administration française, une administration qui est alors tentée de refuser de les considérer comme de véritables mariages produisant les effets d’un mariage civil célébré en France.