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Actualités du droit international

Les États-Unis avaient-ils le droit d’espionner le portable d’Angela Merkel ?

NSA

 

Les récents déboires des services secrets allemands censés, entre autres choses, protéger Angela Merkel contre toute écoute intempestive des États-Unis pose une question légitime : les États peuvent-ils s’espionner entre eux ? Que dit le droit international sur le sujet ?

 

I- Les États ont le droit de s’espionner

 

En droit international, tout ce qui n’est pas interdit, est autorisé comme le soulignait déjà en 1927, la Cour permanente de Justice internationale dans l’affaire dite du « Lotus » :

« [l]oin de défendre d’une manière générale aux États d’étendre leurs lois et leur juridiction à des personnes, des biens et des actes hors du territoire, [le droit international] leur laisse à cet égard, une large liberté, qui n’est limitée que dans quelques cas par des règles prohibitives ; pour les autres cas, chaque État reste libre d’adopter les principes qu’il juge les meilleurs et les plus convenables »

Pour un État, ces règles prohibitives se trouvent nécessairement dans les conventions qu’il a  ratifiées, la coutume internationale et les principes généraux de droit.

Il reste alors à déterminer s’il existe une convention internationale, une règle coutumière ou un principe général de droit qui interdirait aux États de s’espionner les uns, les autres.

Et la réponse est claire : il n’existe aucune prohibition de cette sorte.

Certes, il y a bien l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui interdit toute immixtion dans la vie privée mais aussi dans la correspondance des personnes physiques ou morales. Mais :

1/ Ce principe n’est pas applicable dès lors que l’immixtion en question n’est pas arbitraire. Et il est certain que la sécurité nationale d’un État qui espionne son voisin, ne relève pas de l’arbitraire mais d’une démarche raisonnée et, très souvent, raisonnable.

2/ Il n’est pas certain que les États, en rédigeant et/ou en ratifiant ce texte, aient entendu modifier implicitement leur façon de se comporter les uns vis-à-vis des autres dans cette délicate matière. On ne saurait considérer qu’une pratique universellement répandue, depuis des lustres, puisse être jugée, par ceux-là mêmes qui s’y adonnent, comme illégale.

Partant, le droit international, sans le leur recommander, n’interdit pas aux États de s’espionner les uns, les autres.

 

II- L’espionnage entre États se fait à leurs risques et périls

 

S’il n’existe aucune règle de droit international interdisant aux États de s’espionner, les États sont également libres de sanctionner ceux qui s’y adonnent dès lors qu’ils sont démasqués. Mais, dans ce cas, ils doivent respecter certaines règles dont le contenu dépend des « personnes » à sanctionner.

 

a) Sanctions contre l’espion démasqué

 

Dans cette hypothèse, l’espion « pris » est passible des sanctions pénales prévues par le droit pénal de l’État qui l’a appréhendé.

Ces sanctions ne peuvent, en aucun cas, violer le droit international des droits de l’homme qui s’impose à cet État, par le biais des conventions internationales qu’il a régulièrement ratifiées ou par le biais de la coutume internationale en matière de droits de l’homme.

Autrement dit, il ne peut pas le torturer ou le soumettre à un traitement inhumain et/ou dégradant pour le faire parler. Il doit le juger suivant les standards internationalement reconnus (procès équitable). Mais, il peut, in fine, si le droit pénal l’avait prévu, le condamner à mort.

L’Iran était ainsi parfaitement en droit de pendre, en 2010, Ali Akbar Siadat, convaincu d’espionnage pour le compte d’Israël, tout comme la Syrie avec Elie Cohen en 1965 ou encore les États-Unis avec Ethel et Julius Rosenberg en 1953.

 

b) Sanctions contre l’État commanditaire

 

La tentation pour l’État victime serait celle d’employer des « contre-mesures ». Il s’agit d’une pratique propre au droit international et dont le mécanisme peut être décrit, grosso modo, de la manière suivante :

(i) Un État A viole une obligation qu’il devait respecter à l’égard de l’État B.

(ii) L’État B est alors en droit de violer à son tour une obligation qu’il devrait respecter à l’égard de l’État.

(iii) Cette dernière violation est alors considérée comme légale (sous certaines conditions qui ne nous intéressent pas ici : proportionnalité, provisoires, etc.).

Exemple (fictif) d’application : la Russie pénètre sur le sol de l’Ukraine sans autorisation de cette dernière ; l’Ukraine est alors en droit de ne plus payer les sommes qu’elle doit à la Russie en vertu d’un contrat international de fourniture de gaz.

Revenons à l’hypothèse de travail selon laquelle l’État commanditaire de l’espionnage a été identifié. Dans un premier temps, l’État victime pourrait naturellement être tenté d’adopter des contre-mesures à son égard (refuser, par exemple, de respecter une convention d’entraide judiciaire). Mais ce serait là une erreur car l’espionnage, à l’origine du problème, n’est pas, en soi, comme nous l’avons vu, constitutif d’une violation du droit international. Or, il s’agit là d’une condition sine qua non à l’usage de contre-mesures.

Par conséquent, les seules sanctions admissibles doivent être « légales » au regard du droit international. Il en existe un grand nombre : expulsion de l’ambassadeur ou d’un groupe de diplomates de l’État commanditaire, rupture de négociations bilatérales, création d’un visa destiné aux ressortissants de l’État commanditaire souhaitant entrer dans le territoire de l’État victime, etc.

Dans le cas du téléphone d’Angela Merkel, les médias allemands auront donc beau appeler leur chancelière à la plus grande fermeté, il est fort à parier que la réponse allemande sera discrète et « médiatiquement » invisible. Mais il ne fait aucun doute que réponse, il y aura.